C’était ça, la guerre…

 

Retour dans le passé avec le siège de Sarajevo. Pendant quatre ans, les habitants de la ville ont résisté, survécu et se sont bricolé un quotidien malgré les bombes et les privations. Sur le front ou à l’arrière, de jeunes cinéastes mobilisés se sont mis à filmer. Des images pour témoigner, sauvegarder des moments de leurs vies ou simplement se distraire et échapper à leur vie de soldat. Trente ans après, ils partagent avec nous leurs films, leur expérience du Siège et leurs questions sur l’avenir.

Il avait obtenu un César pour son Retour à Reims [Fragments], en 2023. Cette fois, Jean-Gabriel Petiot nous propose de plonger dans des fragments d’une guerre et le sanglant siège de Sarajevo entre 1992 et 1996. Il le fait en mêlant, de façon très imaginative, deux types d’images, deux époques. D’abord, ces extraits de films de jeunes cinéastes qui étaient alors mobilisés dans l’armée de la République de Bosnie-Herzégovine, et que le réalisateur a croisés au milieu des années 2000 lors du Festival du documentaire dans la ville. « À l’époque, dit-il, j’ai été bouleversé par la découverte de cette ville d’après-guerre et par des discussions que j’ai eues avec des jeunes hommes de mon âge. »

Ensuite, par des plans en forme de miroir de séquences modernes où, retrouvant ces jeunes cinéastes devenus quinquagénaires, il les fait commenter les courts reportages d’alors et raconter leur histoire. Parfois, leur destin de cinéaste amateur a tenu à un fil : ainsi l’un d’eux a pu utiliser une caméra échangé par sa sœur contre… du sucre. Commentaires de Jean-Gabriel Périot : « Tous les films produits à Sarajevo pendant le Siège ont été faits dans ce contexte de manque constant de matériel, qui impliquait un effort considérable, et ce alors même qu’il fallait aussi se préoccuper de trouver les moyens de sa propre survie, la nourriture ou l’eau avant le reste. La décision de filmer était non seulement un défi, mais répondait aussi à un désir, une urgence voire à un besoin. »

Ainsi, Jean-Gabriel Petiot « raconte » le siège de Sarajevo au ras du bitume, les réalisateurs se retrouvant dans les lieux mêmes où ils ont parfois filmé au péril de leur vie. Et ce documentaire pose la question intéressante et centrale de l’acte de filmer quand les armes sont de règle et les combats très violents. Et comment tourner « permet » aussi à ces apprentis réalisateurs pour montrer leur incompréhension face à ce conflit, pour garder des traces aussi. Certains revoient ces images en usant d’humour comme ultime rempart pour ne pas trop céder à l’émotion. Chez d’autres, elle est palpable comme lorsque l’un d’eux évoque ce court reportage qu’il a tourné dans un carrefour et où il avait cadré en plan large et en gros plan des corps déchiquetés, un bout de cervelle : des images qu’il a décidé de détruire après visionnage et dont il se demande aujourd’hui s’il a eu raison de le faire.

Ces images filmés au cœur de l’Europe ont une singulière résonance à l’époque où le conflit en Ukraine n’en finit plus de détruire un pays. Pourtant, ce documentaire bouleversant est aussi l’occasion de témoigner de la force de la vie et de la capacité à résister malgré les horreurs dont les humains sont capables. Aujourd’hui comme hier.

 

François Cardinali
Travellingue
12 novembre 2024
travellingue.com/2024/11/12/cetait-ca-la-guerre/2/